Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
PrivateCinexperience.over-blog.com

L'ensemble de ma vidéothèque analysée, notée et commentée par vous

Les Monstres, 1963

Publié le 22 Août 2013

Les Monstres, 1963

Note: 8/10

Lorsque sort, en 1962, le classique de la comédie italienne, « Les Monstres » (I Mostri) de Dino Risi, il s’agir de caricaturer et faire une satire du peuple italien. Le contexte (fécond) de l’après-guerre a vu la population italienne sortir du marasme socioéconomique dans lequel l’avait plongé la guerre durant les années 1950. Celle-ci renoue alors avec la joie de vivre, l’envie de consommer, de se divertir. Mais au-delà de ces clichés se cachent des « monstres », identifiés comme tels par Dino Risi, qui parle de « monstres ordinaires, des monstres du quotidien, des monstres simples ». Ces derniers peuvent être des monstres physiques, moraux, sociaux. Le terme de monstre, et la thématique de la monstruosité, sont ici directement liés au type d’humour développé par le film : l’humour noir, grinçant, le cynisme. Ettore Scola, scénariste notable du film de Risi, dans l’interview des bonus du film « Les Monstres » parue au cours des années 2000, pensait par ailleurs que : « La monstruosité nait aussi du pouvoir qu’a l’homme dans la société. Plus il a de pouvoir, plus il est monstrueux ». Une citation visionnaire si l’on considère que l’époque durant laquelle cette interview a été réalisée était celle du pouvoir de Berlusconi. Dino Risi, dans une interview parallèle, n’hésitera, par ailleurs, pas à déclarer qu’il aurait aimé faire un nouvel épisode des « Monstres » sous forme de satire consacré à ce dernier. Selon lui, Silvio Berlusconi est un véritable : « personnage de film, devenu l’homme le plus riche de son pays et son président en 10 à 15 ans ».

Pour en revenir aux monstres, nous pouvons nous pencher sur le troisième épisode des « Monstres », simplement nommé « Il Mostro » (Le Monstre). C’est le plus court des sketches du film. Il met en scène l’arrestation d’un père soupçonné d’avoir tué ses enfants. Des journalistes sont présents pour tenter d’obtenir un cliché du tueur, arrêté par deux carabinieri interprétés par Gassman et Tognazzi. Ceux-ci sortent de la maison du tueur, encadrant celui-ci, puis arrivent au niveau des journalistes où ceux-ci se précipitent pour prendre des photos. C’est à ce moment que l’on se rend compte que ce n’est pas le tueur (présumé) qui est monstrueux. Celui-ci a l’apparence d’un « pauvre type malheureux », selon Risi. Les monstres, ce sont les deux policiers interprétés par Gassman et Tognazzi, le premier édenté et le second louchant. Ces derniers, avides de reconnaissance (sociale?), lorsque le photographe propose une photo de la « capture », se mettent au premier plan, éclipsant le tueur. On peut voir là une substitution du « faux » monstre au profit des « vrais » monstres, situation comique car prenant à contrepied la narration. Monstres par leur apparence physique, certes, mais aussi monstres par leur comportement, leur ambition et leur soif de reconnaissance sociale. Par le biais de ce dernier point, ils sont représentatifs d’une société italienne qui a, elle aussi, soif de promotion sociale, et le but du film est justement la satire de cette société nouvelle, née après-guerre, selon Dino Risi.

Au cours du film, Risi s’amusera à prendre à contrepied les conventions sociales de son temps pour mieux les critiquer grâce à ses « monstres ». Ainsi verrons-nous un prêtre, interprété avec brio par Gassman, plus soucieux de son apparence (dans le cadre d’une allocution télévisée) que de ses fidèle ; un clochard, là aussi interprété par Gassman, profitant de la cécité de son compagnon pour mieux l’exploiter via l’aumône ; ou encore un ancien boxeur sans le sous, joué par Tognazzi, arrivant à convaincre son ami, lui aussi ancien boxeur (Gassman), de remonter sur le ring pour toucher de l’argent sur son dos. Celui-ci deviendra un légume suite à un combat perdu.

La galerie que dépeint Risi, aidé de ses scénaristes (Agenore « Age » Incrocci, Ettore Scola, Elio Petri, Furio Scarpelli, Ruggero Maccari et lui-même), est, quelque part, une galerie de monstres contemporains. Ici, c’est l’italien, en pleine redéfinition, qui est visé, au travers de ses comportements, ses désirs, ses contradictions aussi, et c’est souvent là que réside l’aspect comique de la narration. Car le film, en dépit de la « monstruosité » de ses personnages, est hilarant. Nous pouvons le voir comme une autocritique, puisqu’il s’agit d’un film italien, réalisé par un italien, à propos d’italiens (et d’italiennes), pour les italiens. A ce propos, Ettore Scola déclarait que : « L’italien a un sens de l’autocritique plus développé que les français. L’italien, plus porté à se mettre en valeur, est plus présomptueux que les autres, mais accepte la critique. Il préfère même la devancer, et dire : « Je suis un con » tout de suite avant que les autres ne le disent. Il y a un goût un peu particulier à se regarder dans ses pires côtés. Se voir comme un vaurien l’amuse».

Les monstres sont donc les italiens, la société italienne, qui, en ce début d’années 1960, se cherche toujours, oscillant entre le souvenir tenace de la guerre, encore proche, et l’insouciance des «Trente Glorieuses ». De cette hésitation naissent les monstres de Risi, personnages tout à la fois cupides, infidèles, corrompus, sans cœurs parfois, drôle toujours, qui, tout monstres qu’ils sont, n’en restent pas moins étrangement attachant, puisque renvoyant à nous-même, nos travers, et notre part d’ombre.

Enfin, il est à noter que « Les Monstres » de Dino Risi n’a pas, loin s’en faut, le monopole de l’usage de monstres. « Le Fanfaron », autre coup de maître de Risi, fait, lui aussi, usage d’un monstre, pour le rôle principal. Celui-ci, Bruno Cortona, interprété par l’irremplaçable Vittorio Gassman, sous des airs sympathiques, est un véritable monstre. Personnage odieux, machiste, arrogant, frimeur, raciste (arrivé avec Jean-Louis Trintignant, qui partage l’affiche du film avec Gassman, dans une station d’essence près de Rome, il se fait interpeller par une étudiante Noire américaine. Une fois celle-ci sortie du champ, il la qualifie de « cachet d’aspirine »…) et opportuniste, il n’en demeure pas moins attachant, tout comme dans « Les Monstres ». Par sa joie de vivre apparente, tout d’abord, mais aussi par son insouciance, sa légèreté, qui, certes, seront fatale à Roberto Mariani (Trintignant) mais qui renvoient à une époque "bénie".

« Affreux, Sales et Méchants » (Brutti, Sporchi e Cattivi) de Ettore Scola, visiblement inspiré par son ancien emploi de scénariste pour « Les Monstres », et sorti en 1976, constitue un autre portrait de monstres à l’italienne. C’est l’histoire d’une famille pauvre de la banlieue romaine vivant dans à plus de vingt dans un taudis. Le père tyrannique, interprété par Nino Manfredi (ce n’est pas un hasard), a touché un million de lire pour la perte de son œil (monstre physique) et cherche, par tous les moyens, de préserver son magot à l’abri de sa famille. Celle-ci cherchera alors à le tuer pour récupérer l’argent pendant que ce dernier ramènera une prostituée dans son lit en présence de sa femme (monstre moral)…

Il s’agit ici de monstres superlatifs. D’un côté le père de famille borgne, sans cœur, véritable Harpagon, que l’on soupçonne en plus d’être incestueux. De l’autre, sa famille qui, poussée par l’appât du gain (et là aussi par l’envie de promotion sociale), est prête à tuer le « cappo famiglia » pour toucher l’argent.

Il y a donc, comme nous l’avons vu, une diversité de monstres dans la comédie italienne. Aux monstres physiques et aux monstres moraux, nous pouvons enfin ajouter une autre catégorie de monstres, en forme d’hommage, les monstres sacrés : Gassman, Tognazzi, Manfredi, Risi, Scola, bref, toute une génération d’artistes élevés au panthéon du cinéma mondial pour leur sens de la critique acerbe, de la satire, et de l’humour, noir parfois. Il est intéressant de noter, pour finir, que Dino Risi, en dehors d’un Lion d’Or à Venise en 2002 en forme d’hommage pour l’intégralité de son œuvre, ne sera jamais récompensé pour ses films, de même que le fut un certain……Totò ! Peut-on, pour autant, parler d’art mineur et déconsidéré pour la comédie italienne ?

Commenter cet article